Je me méfie des romans historiques qui portent sur
l’histoire des vaudois. J’en ai lu beaucoup de très mauvais, ayant une qualité
littéraire limitée et une intrigue contestable. Aussi, j’ai commencé la lecture
du livre de Jean Contrucci, Le printemps des maudits, avec une légère
réticence.
Mais je dois dire qu’au-delà de l’intrigue romanesque – qui
ne m’intéresse pas dans ce commentaire –, la trame historique est bien
respectée parce que bien renseignée. Jean Contrucci s’est en effet appuyé sur
les publications faites par Gabriel Audisio relatives à la semaine sanglante de
l’exécution de l’Arrêt de Mérindol, notamment Procès-verbal d’un massacre
(Édisud, 1992) et Histoire de l’exécution de Cabrières et Mérindol et
d’autres lieux de Provence (AEVHL, 1982, réédition Les Éditions de Paris –
Max Chaleil, 1995). Il mentionne aussi le livre de Maurice Pezet, L’épopée
des vaudois (Seghers, 1976), qui m’avait accompagné durant tout l’été 1976
et qui m’avait initié à l’histoire des vaudois.
Dans Le printemps des maudits, la chronologie des
événements est précise, les acteurs bien identifiés, la progression des
exactions bien respectée. Jean Contrucci a de surcroît la délicatesse de ne pas
s’étendre sur la description des abominations commises par la soldatesque. Il
indique en revanche les résultats désastreux de cette “croisade” :
« Le comptage sur le terrain fait état de 9
villages entièrement détruits, dont on a fait table rase, 18 pillés de fond en
comble, 763 maisons ruinées et on estime à près de 3000 le nombre de morts, si
l’on prend en compte ceux de Cabrières. » (p 332)
Tout cela pour un Arrêt qui ne concernait initialement que
19 individus…
Voyons plus précisément ce que Jean Contrucci écrit à propos
de Lacoste, où vivait à cette époque la famille de mon aïeul direct Estienne
Appy :
« Dans l’après-midi même du jour du sac de
Cabrières, Baudoin, un de ses capitaines [de Maynier d’Oppède], en compagnie de
Labbé, qui sert chez le sieur de Loubières, s’attaquaient de son propre chef au
village de La Coste, au prétexte qu’on leur aurait rapporté que s’y trouvaient des
luthériens réfugiés. Or, La Coste n’est en rien concerné par l’édit de Mérindol
(…). Les habitants, effrayés de voir ces troupes déferler sur leur village
perché, en avaient fermé les portes dans le dos de leur jeune seigneur,
François de Simiane sorti parlementer pour qu’on épargne son fief. Cette porte
claquée au nez des assaillants valut aux villageois un assaut en règle et
semblables pillages et tueries qu’en la malheureuse Cabrières. On y a vu des
mères disputant leurs filles aux violeurs, leur jeter des couteaux, aux fins de
se percer le sein plutôt que subir un déshonneur. Si le carnage commencé s’est
bientôt tari, c’est grâce à l’arrivée sur place des trois commissaires de l’exécution,
prévenus qu’il se passait à La Coste des choses inadmissibles. » (pp
288-289)
Les soldats de Provence arrivèrent en effet à Lacoste le mardi
21 avril 1545. Voici, fait par Jacques Aubéry, le récit des exactions commises
le lendemain, après que les portes de la place furent ouvertes à la demande de
Maynier d’Oppède :
« On ouvre la porte. Incontinent, cette troupe de
gendarmes s’épand par la ville, fait des maux infinis, met le feu par les
maisons et aux étables du château, pille et emmène les chevaux du seigneur, des
femmes et des filles sont prises et emmenées dans un verger et dans une garenne
derrière le château, forcées, pillées et rançonnées, leurs bourses coupées ;
les mères tenaient leurs filles que les soldats arrachaient de leurs mains pour
les violer ; les filles criaient et priaient les soldats de les tuer
plutôt que de les déshonorer ; la mère baillait le couteau à sa fille pour
se tuer et pour mourir chaste plutôt que de vivre souillée. Ils prirent une
jeune femme pour la forcer tenant son enfant dans les bras et jetèrent l’enfant
dans la garenne. Un témoin dit une chose horrible : qu’une femme pour ne
pas être violée se jeta du haut en bas de la muraille de la ville et demeura en
bas jusques au soir comme morte ; ces soldats vont la trouver et la
connaissent charnellement demi-morte. Un autre dit qu’ils forcèrent des filles
fort jeunes, voire de l’âge de 8 à 9 ans, et qu’ils mirent le feu à une grange
du sieur de La Coste dont furent brûlées deux femmes. Deux autres femmes, d’horreur
de voir ainsi traiter leurs filles, se pendirent pour s’étrangler, ce que Dieu
ne permit pas parce que les cordes rompirent. »
À la lecture de ces témoignages, on est saisi d’horreur. Il
est donc miraculeux que mon ancêtre et sa famille aient échappé à ce carnage. Sa
descendance – qui porte toujours son nom – est heureusement encore là pour en
témoigner…
En conclusion, Jean Contrucci a fait un travail de recherche
sérieux et son livre Le printemps des maudits est à lire pour qui veut
en savoir davantage, sans pour autant se référer aux documents d’époque écrits
dans une langue parfois peu accessible aux néophytes.