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samedi 3 août 2024

Un triple meurtre à Lacoste en avril 1800

Les registres d'état civil contiennent parfois la relation d'actes particulièrement affreux, tel ce triple meurtre commis le 10 avril 1800 au quartier des Plaines à Lacoste. En ont été victimes Jean Perrotet, sa femme et sa fille, dont je connaissais le passé protestant avant la Révolution.


Ce jourd’hui, 20 germinal an VIIIe de la République française [10 avril 1800], à 10 heures du matin.

         Par-devant moi, Jacques Grégoire, adjoint municipal de cette commune de Lacoste, remplissant les fonctions d’officier civil en l’absence du citoyen Daniel Malan, est comparu le citoyen Pierre Théophile Sambuc, juge de paix de ce canton, officier de police judiciaire, domicilié en cette commune de Lacoste.

         Lequel, assisté des citoyens Thomas Delaye, âgé de 28 ans, et d’Esprit Grégoire, âgé de 45 ans, a déclaré à moi dit, Jacques Grégoire, qu’ayant été instruit que trois personnes ont été tuées ce matin dans le terroir de la commune de Lacoste, à environ 100 pas de distance de celui de la commune de Ménerbes, il s’était transporté sur le lieu, et y avait rédigé le procès-verbal dont la teneur suit :

 

Extrait des actes de la justice de paix du canton de Bonnieux.

L’an VIII de la République française, et le 20 germinal, nous Pierre Théophile Sambuc, juge de paix, officier de police judiciaire du canton de Bonnieux, informé par la clameur publique que trois personnes ont été tuées ce matin dans le terroir de la commune de Lacoste, quartier des Plaines, et que leurs cadavres sont encore étendus sur les lieux, nous y sommes transporté de suite, en compagnie des citoyens Antoine Joseph Delaye, greffier de la justice de paix, et Elzéar Joseph Lapeyre, officier de santé de la commune de Bonnieux, que nous avons commis à l’effet de visiter lesdits cadavres et rapporter sur les causes de leur mort, et d’un détachement de la Garde nationale de quatre hommes de cette commune de Lacoste, où étant arrivés, avons trouvé couché par terre le cadavre d’un homme et celui de deux femmes. Et s’étant trouvé sur les lieux, Jean Mallan, cultivateur, de la commune de Lacoste, dit de la Vaumasque, et Marie Bourgue, sa femme, leur avons demandé s’ils reconnaissent lesdits cadavres. À quoi, ils ont répondu les reconnaître et que ce sont les cadavres de Jean Perrottet, dit “Racoty”, de sa femme et de sa fille, domiciliés en la commune du Puget, canton de Cadenet, et se sont dits illitérés, de ce enquis.

         Et de suite, avons requis le citoyen Lapeyre, officier de santé susdit, de procéder à la visite desdits cadavres, et de rapporter sur la cause de leur mort. À quoi ledit Lapeyre, ayant procédé incontinent, a rapporté que ledit Jean Perrottet, dit “Racoty”, a été tué d’un coup d’arme à feu qui lui a emporté toute la partie latérale gauche du crâne, d’où la substance entière du cerveau et du cervelet est sortie et épandue par terre. Et ayant ensuite visité le cadavre qui nous a été désigné pour être celui de la femme dudit Jean Perrottet, ledit Lapeyre nous a rapporté qu’elle a été tuée aussi d’un coup d’arme à feu qui a porté au-dessous de la mamelle gauche et qui a traversé tout le corps, la balle étant sortie par la région lombaire droite. Et ensuite, ayant visité le cadavre qui nous a été désigné pour être celui de la fille dudit Jean Perrottet, ledit Lapeyre nous a rapporté qu’elle a été tuée par deux coups d’arme à feu, dont l’un annonce que la balle est entrée dans la poitrine par la partie supérieure gauche, environ trois travers de doigt au-dessus du cartilage xyphoïde, et après avoir traversé la poitrine est sortie par la partie postérieure droite de la poitrine, environ deux travers de doigt à côté des vertèbres dorsales ; et qu’à l’autre coup, la balle est entrée sous l’aisselle gauche, à sa partie antérieure, et est sortie derrière l’épaule après avoir brisé l’omoplate. Lequel rapport, ledit Lapeyre a dit être fait selon son âme et conscience, et les connaissances qu’il a en l’art de chirurgie, et a signé Lapeyre, officier de santé. Ainsi à l’original.

Et s’étant trouvé sur les lieux les citoyens Joseph Porte, cultivateur, de la commune de Ménerbes, domicilié au quartier des Jassines, à environ 250 mètres de distance du lieu où a été commis l’assassinat desdites trois personnes ci-dessus désignées, François Aubert, cultivateur, de la commune de Ménerbes, et Françoise Bonnet, son épouse, domiciliés à environ 500 mètres de distance dudit lieu, les avons requis de nous déclarer s’ils ont connaissance de la manière et par qui ce délit a été commis. À quoi, ils ont incontinent procédé, et de suite, avant désemparer, avons ordonné que les trois cadavres seront inhumés dans les vingt-quatre heures au plus tard.

Sambuc, juge de paix, Delaye, greffier. Ainsi à l’original, pour expédition conforme.

Collationné à Lacoste le 20 germinal an VIII de la République française.

Signé : Sambuc, juge de paix, et Delaye, greffier, ainsi à l’original.

 

         Nous, juge de paix, officier de police judiciaire susdit et soussigné, n’ayant pu nous procurer sur les lieux la connaissance des noms et prénoms et véritable domicile des personnes qui ont été trouvées mortes dans le terroir de Lacoste, quartier des Plaines, avons découvert par les renseignements que nous avons acquis qu’elles se nommaient Jean Perrottet, âgé d’environ 55 ans, Marie Pelenc, âgée d’environ 53 ans, femme dudit Jean Perrottet, leur fille, âgée d’environ 28 ans, veuve de Barthélemi Doucende, domiciliée à Mérindol.

         Signé Sambuc.

 

         D’après la lecture de ce procès-verbal, que lesdits Thomas Delaye et Esprit Grégoire ont déclaré être conforme à la vérité, je me suis transporté au lieu où lesdits Jean Perrottet, Marie Pelenc et Susanne Perrottet ont été trouvés morts. Et après m’être assuré de leur décès, j’ai dressé le présent acte, que les citoyens Pierre Théophile Sambuc, juge de paix et officier de police, et Thomas Delaye ont signé avec moi ; ce que ledit Esprit Grégoire a déclaré ne savoir faire, de ce enquis.

         Fait à Lacoste, en la maison commune, les jour, mois et an que dessus.

                                      Delaye          Sambuc, juge de paix et off. de pce judre

J.Grégoire, adjt

 

  


lundi 4 décembre 2023

Les tribulations du notaire de Lacoste

L’arrêt du Conseil du Roi du 28 juin 1681 interdit désormais aux protestants d’exercer la charge de notaire. Me Jean Appy, qui était le notaire de Lacoste depuis 1640, se vit dès lors contraint de vendre son office. Il le fit le 9 septembre 1682 chez son confrère Me Delapierre à Apt, en faveur de Me Firmin Molinas, le notaire de Goult.

Survint ensuite la Révocation de l’édit de Nantes et les abjurations contraintes des communautés protestantes devant l’arrivée des régiments de dragons. Nous n’avons pas celle de Lacoste qui est intervenue, comme dans les villages voisins, aux alentours des 20 et 21 octobre 1685. Ces abjurations collectives étaient bien sûr des abjurations de bouche et non de cœur.

Mais suite à cette opération, Jean Appy est donc devenu officiellement catholique apostolique et romain. C’est donc en toute logique qu’il rachète son office à son confrère le 22 décembre 1685, devant Me Courtois, notaire à Apt. Me Molinas lui revend le prix qu’il avait lui-même payé, soit 800 livres. On apprend dans cet acte que Jean Appy avait conservé ses registres : ceux-ci auraient dû faire l’objet d’un inventaire après la vente, mais cet inventaire n’avait pas été encore fait.

Me Jean Appy retrouva donc son office, qui se maintint jusqu’en 1705 (son fils Daniel lui ayant succédé). Il mourut à Lacoste en 1698 à l’âge de 80 ans, et fut enterré le 20 avril dans le cimetière de l’église St-Trophime, après s’être dument confessé au vicaire du lieu. Mais nous savons que lui-même et sa descendance sont restés protestants.

Il est mon 10e aïeul…




lundi 20 novembre 2023

Deux prétendants en quinze jours

Voici le cas singulier de Jeanne Appy.

Elle est la fille de Guillaume Appy et de Jeanne Buffe, de Lacoste. Tous deux sont déjà morts en 1683. Jeanne est aussi la veuve de feu Joseph Jayme. Pour toute famille, elle a une marâtre, Marie Palenc, et un demi-frère, Samuel Appy, qui a 14 ans en 1683…

Pour pouvoir se remarier, Jeanne Appy décide d’abjurer sa foi protestante. Elle le fait le 10 janvier 1683 devant Jean Joseph Laugier, vicaire perpétuel de Lourmarin. Notons qu’elle abjure à Lourmarin, dans l’église paroissiale, et non à Lacoste où elle habite.

Quelques jours plus tard, le 29 janvier, assistée de sa tante – protestante – Madeleine Appy, femme de Jean Eyssavel, elle passe un contrat de mariage dans l’étude de Me Chastroux, notaire de Lourmarin, avec Joseph Audibert, un catholique de Bonnieux, né en 1656. Comme elle vient d’abjurer et que sa dot est maigre (18 livres seulement et un coffre), le vicaire Laugier lui attribue 54 livres 10 sous, dont 36 livres viennent de la Propagation de la Foi d’Aix, plus 10 livres 10 sous de l’argent propre du vicaire (on ne sait d’où proviennent les 8 livres restantes qui manquent pour faire le total).

Mais le 12 février suivant, elle souscrit un autre contrat de mariage. Cette fois, c’est dans l’étude de Me Rolland, notaire de Cadenet. Et c’est un autre conjoint qui est désigné : Joseph Testanière, un autre catholique de Bonnieux. Ce mariage sera célébré à Bonnieux trois jours plus tard, le 15 février.




Quant au premier prétendant, il se mariera lui aussi le 21 janvier 1685 à Bonnieux avec Anne Viens, et mourra en mars 1733. Les raisons de l’annulation de son mariage avec Jeanne Appy nous sont inconnues…




lundi 13 décembre 2021

Livre : Le printemps des maudits (Jean Contrucci)

 


Je me méfie des romans historiques qui portent sur l’histoire des vaudois. J’en ai lu beaucoup de très mauvais, ayant une qualité littéraire limitée et une intrigue contestable. Aussi, j’ai commencé la lecture du livre de Jean Contrucci, Le printemps des maudits, avec une légère réticence.

Mais je dois dire qu’au-delà de l’intrigue romanesque – qui ne m’intéresse pas dans ce commentaire –, la trame historique est bien respectée parce que bien renseignée. Jean Contrucci s’est en effet appuyé sur les publications faites par Gabriel Audisio relatives à la semaine sanglante de l’exécution de l’Arrêt de Mérindol, notamment Procès-verbal d’un massacre (Édisud, 1992) et Histoire de l’exécution de Cabrières et Mérindol et d’autres lieux de Provence (AEVHL, 1982, réédition Les Éditions de Paris – Max Chaleil, 1995). Il mentionne aussi le livre de Maurice Pezet, L’épopée des vaudois (Seghers, 1976), qui m’avait accompagné durant tout l’été 1976 et qui m’avait initié à l’histoire des vaudois.

Dans Le printemps des maudits, la chronologie des événements est précise, les acteurs bien identifiés, la progression des exactions bien respectée. Jean Contrucci a de surcroît la délicatesse de ne pas s’étendre sur la description des abominations commises par la soldatesque. Il indique en revanche les résultats désastreux de cette “croisade” :

« Le comptage sur le terrain fait état de 9 villages entièrement détruits, dont on a fait table rase, 18 pillés de fond en comble, 763 maisons ruinées et on estime à près de 3000 le nombre de morts, si l’on prend en compte ceux de Cabrières. » (p 332) 

Tout cela pour un Arrêt qui ne concernait initialement que 19 individus…

Voyons plus précisément ce que Jean Contrucci écrit à propos de Lacoste, où vivait à cette époque la famille de mon aïeul direct Estienne Appy :

« Dans l’après-midi même du jour du sac de Cabrières, Baudoin, un de ses capitaines [de Maynier d’Oppède], en compagnie de Labbé, qui sert chez le sieur de Loubières, s’attaquaient de son propre chef au village de La Coste, au prétexte qu’on leur aurait rapporté que s’y trouvaient des luthériens réfugiés. Or, La Coste n’est en rien concerné par l’édit de Mérindol (…). Les habitants, effrayés de voir ces troupes déferler sur leur village perché, en avaient fermé les portes dans le dos de leur jeune seigneur, François de Simiane sorti parlementer pour qu’on épargne son fief. Cette porte claquée au nez des assaillants valut aux villageois un assaut en règle et semblables pillages et tueries qu’en la malheureuse Cabrières. On y a vu des mères disputant leurs filles aux violeurs, leur jeter des couteaux, aux fins de se percer le sein plutôt que subir un déshonneur. Si le carnage commencé s’est bientôt tari, c’est grâce à l’arrivée sur place des trois commissaires de l’exécution, prévenus qu’il se passait à La Coste des choses inadmissibles. » (pp 288-289)

Les soldats de Provence arrivèrent en effet à Lacoste le mardi 21 avril 1545. Voici, fait par Jacques Aubéry, le récit des exactions commises le lendemain, après que les portes de la place furent ouvertes à la demande de Maynier d’Oppède :

« On ouvre la porte. Incontinent, cette troupe de gendarmes s’épand par la ville, fait des maux infinis, met le feu par les maisons et aux étables du château, pille et emmène les chevaux du seigneur, des femmes et des filles sont prises et emmenées dans un verger et dans une garenne derrière le château, forcées, pillées et rançonnées, leurs bourses coupées ; les mères tenaient leurs filles que les soldats arrachaient de leurs mains pour les violer ; les filles criaient et priaient les soldats de les tuer plutôt que de les déshonorer ; la mère baillait le couteau à sa fille pour se tuer et pour mourir chaste plutôt que de vivre souillée. Ils prirent une jeune femme pour la forcer tenant son enfant dans les bras et jetèrent l’enfant dans la garenne. Un témoin dit une chose horrible : qu’une femme pour ne pas être violée se jeta du haut en bas de la muraille de la ville et demeura en bas jusques au soir comme morte ; ces soldats vont la trouver et la connaissent charnellement demi-morte. Un autre dit qu’ils forcèrent des filles fort jeunes, voire de l’âge de 8 à 9 ans, et qu’ils mirent le feu à une grange du sieur de La Coste dont furent brûlées deux femmes. Deux autres femmes, d’horreur de voir ainsi traiter leurs filles, se pendirent pour s’étrangler, ce que Dieu ne permit pas parce que les cordes rompirent. »

À la lecture de ces témoignages, on est saisi d’horreur. Il est donc miraculeux que mon ancêtre et sa famille aient échappé à ce carnage. Sa descendance – qui porte toujours son nom – est heureusement encore là pour en témoigner…

En conclusion, Jean Contrucci a fait un travail de recherche sérieux et son livre Le printemps des maudits est à lire pour qui veut en savoir davantage, sans pour autant se référer aux documents d’époque écrits dans une langue parfois peu accessible aux néophytes.

lundi 28 juin 2021