Voilà un livre passionnant et surprenant.
Passionnant pour qui fait de la généalogie protestante et pour qui s’intéresse à l’histoire des familles huguenotes sous l’Ancien Régime. Le sous-titre, Polar généalogique, est d’ailleurs bien trouvé. On suit le travail de Chloé, une jeune archiviste, qui cherche à retracer le parcours de son grand-oncle pour répondre aux questions que se pose sa mamet Jeannette. Dans une postface, les auteurs (Justine Berlière et son père Jean-Marc, elle archiviste et lui historien) expliquent que le récit des aventures vécues par les protagonistes de l’intrigue sont imaginaires, d’où le mot “polar”. En revanche, les dépôts d’archives sont bien réels, comme le sont aussi les personnages qui ont réellement existé. Tel ce Pierre Bénézet que j’ai eu la surprise de découvrir (tout en lisant le livre !) dans la liste des huguenots embarqués pour l’Afrique du Sud, publiée sur le site Huguenots de France.
Le silence des maquis nous conduit des Cévennes (notamment Vézénobres, village voisin de St-Chaptes où j’habite, et ses alentours que je connais bien) à Berlin, en passant par l’Afrique du Sud (Drakenstein). On retrouve, très bien documentée, l’histoire de la Révocation de l’édit de Nantes (octobre 1685), puis les chemins du Refuge par la Suisse, Francfort, le Brandebourg, la Hollande. Tout est parfaitement retracé et raconté : je n’ai pas trouvé une seule erreur dans ce récit qui, de surcroît, a une très grande qualité littéraire. Nul besoin d’être un spécialiste pour se plonger dans ce livre.
Surprenant parce que l’histoire se présente par moment comme un carnet de recherche, avec des blocs-notes, des notes de synthèse, et même des transcriptions de documents. Ces dernières étant fictives, mais on s’y casse le nez tellement elles coïncident parfaitement avec ce qu’on a l’habitude de croiser dans les dépôts d’archives. La progression des investigations menées par Chloé est datée, et on peut suivre presque au jour le jour ses pistes de recherche. Bravo pour cette originalité et le suspens qu’elle induit !
Les auteurs n’ont pas craint, par ailleurs, de s’attaquer à ce qu’il est convenu d’appeler “les heures les plus sombres de notre histoire”. Terrain miné et dangereux pour qui ose s’aventurer hors des sentiers balisés de l’histoire officielle. Surtout par ces temps où le wokisme prétend réécrire l’histoire à l’aune des lubies actuelles, afin d’éliminer (cancel culture) tout ce qui ne convient pas au conformisme ambiant. Une sorte de totalitarisme de la pensée s’est mis en place, et malheur à qui ne s’y soumet pas. Les auteurs, père et fille, n’en ont visiblement cure, et ils osent évoquer le fait que tous les Waffen SS français n’étaient pas forcément des salauds, et tous les résistants n’étaient pas forcément des héros. C’est courageux de leur part !
Pour terminer cette brève recension, je dirai qu’il est
tentant en effet de remplir les vides qu’on découvre parfois quand on mène des
recherches. Deux exemples :
- Le premier est le cas de ce couple originaire de Cabrières
d’Aigues dont on retrouve les étapes pour gagner le Refuge, qui sont inscrits à
Rotterdam dans la liste d’embarquement des passagers pour l’Afrique du Sud, qui
n’y sont jamais arrivés à tel point qu’on les croyait morts pendant le voyage…
et que j’ai retrouvés revenus dans leur village d’origine quelque temps plus tard.
Que s’est-il passé ? Pourquoi ont-ils changé d’avis au dernier moment et
pourquoi se sont-ils décidés à revenir en Provence ?
- Le second est l’exemple d’un de mes grands-oncles qui
refusa d’abjurer comme le reste de la famille en octobre 1685, et qui partit au
Refuge avec femme et enfant, pour s’installer à Friedrichsdorf, dans la Hesse, où il fit souche. J’avais découvert ce périple il y a fort longtemps. Mais en
épluchant il y a peu la base de données du Refuge huguenot, j’ai découvert que
son frère (mon aïeul) l’avait accompagné jusqu’à Genève et était ensuite revenu
à Roussillon pour retrouver le reste de la famille resté au pays. Quelles ont
été les raisons qui l’ont conduit à prendre cette décision d’escorter son jeune
frère ? Est-ce que le contact avec lui a été définitivement rompu à Genève ?
On aimerait faire des suppositions et imaginer ce qui se serait
passé. Mais cela conduirait à écrire un roman, comme l’ont fait nos talentueux
auteurs…