lundi 18 décembre 2023

1749 : Exhumation du cadavre d’un protestant à Cadenet


Dans La vie quotidienne des protestants sous l’Ancien Régime, de Michel RICHARD, paru en 1966, on lit (pp 238-239) :

Vers le même temps [1749], le cadavre de Daniel Étienne à Cadenet (Provence) est exhumé, traîné par une corde au cou à travers le village au son du tambour et du flageolet avec force coups et injures, puis pendu par les pieds et ouvert ; le cœur, le foie et les entrailles arrachés sont portés en procession et le corps enfin coupé en quatre quartiers.

Qui était ce Daniel Estienne ? Il est probablement né avant 1681 à Cadenet. Il est le fils d’André Estienne, un ménager, et de Louise Baumas, une famille protestante de Cadenet. Comme les autres, les parents abjurent le 21 octobre 1685, avec leurs fils Antoine, Daniel et André (ce dernier né en septembre 1681). Daniel finit par se marier, à presque quarante ans, le 2 mai 1719 :

Daniel Estienne, fils à feu André et de Louise Baumas, ce jourd’huy 2e may, après les trois publications ordinaires, en présence de nous, prêtre secondaire soussigné et des témoins icy bas nommés, a épousé en face de notre sainte mère l’Esglise Marguerite Ravelle, fille à feu Jacques et de Susanne Cavallière. Les témoins ont été Srs Gaspard Gordes, Pierre Savournin, Louis Savournin.

Cérémonie catholique précédé d’un contrat de mariage passé quelques jours auparavant, le 30 avril, devant Me Pierre Roland, notaire à Cadenet.

Le 21 août 1748, Daniel Estienne fait son testament. Et il meurt le 10 avril 1749. La suite nous est racontée par Antoine Court, dans Le patriote français et impartial (éd. critique par Otto Selles, Paris, H. Champion, 2002, p. 369) :

Le 10 avril 1749 Daniel Etienne dit la Montagne, mourut à Cadenet en Provence. [Quelques protestants] n’eurent pas plutôt enseveli leur mort, que ceux-ci [quelques catholiques] l’ayant exhumé, lui attachèrent une corde au col et le traînèrent ainsi au son de tambourin et d’un flageolet par tout le village ; et dans chaque station qu’ils faisaient, ils frappaient ce cadavre à gros coups de bâton […] Ah ! pauvre Montagne, tu n’iras plus au prêche à Lourmarin ! Las de cette manœuvre, ils attachent l’objet de leur fureur par les pieds, dans un lieu élevé : ils lui ouvrent ensuite la poitrine et le ventre, lui arrachent le cœur, le foie, et les entrailles, attachent toutes ces parties au bout de gros et longs bâtons dont ils sont armés ; élèvent ces bâtons aussi haut que leurs bras le peuvent permettre, et vont ainsi en procession par les rues, en criant à gorge déployée : qui veut acheter de la fraichaille ?

Un spectacle d’horreur…

Marguerite Ravel, sa veuve, va lui survivre une dizaine d’années. Elle meurt le 2 mars 1759 et elle est enterrée au Désert le lendemain :

Du 3e mars 1759, a été enterré le corps de Marguerite Ravel, veuve d’Estienne “Montagne”, du lieu de Cadenet, décédée le jour précédant. Auquel enterrement ont assisté Pierre Reynard, Jean Cavallier, Jean Vian et Jean Mathieu. Lesquels nous ont assuré que le défunte étoit âgée d’environt 60 ans. Et a signé qui a sçu.

Les temps avaient changé : sa sépulture n’a pas été profanée comme l’avait été celle de son défunt mari…


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